La profession du transport routier de voyageurs est dans une situation particulière. Il est pris en étau entre une reprise dynamique, une situation tendue en matière de recrutements et une transition énergétique très contraignante. Selon le projet européen sur les émissions de CO2 pour les poids lourds, 45 % des véhicules devront être « zéro émission » à l’horizon 2030. Le dire, c’est bien, mais le faire, c’est mieux.
La Fédération Nationale des Transports de Voyageurs Auvergne-Rhône-Alpes a profité de son assemblée générale du 30 avril pour faire le point sur les enjeux structurels et conjoncturels de la profession. Son co-président sortant Pascal Favre précise « Si cela ne passe que par l’électrique, cet objectif aura des conséquences désastreuses et mettra au tapis tout un tissu industriel, constitué en Auvergne-Rhône-Alpes de 217 entreprises dont 57% de plus de 50 salariés ! ».
Le mix énergétique en attendant la maturité des technologies électriques
Les décisions politiques prises « au doigt mouillé » devant l’urgence de la transition énergétique se heurtent aux réalités du terrain. La profession encourage les solutions du mix énergétique en attendant la maturité des technologies électriques.
Le nouveau co-président Abdel Mammad indique « Avec 300 000 élèves transportés par car chaque jour en Auvergne Rhône-Alpes, 12 229 salariés dont 40% a plus de 50 ans et un peu plus d’1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023, le transport routier interurbain de voyageurs est un secteur d’activité majeur pour l’économie régionale ! ». En lui-même le transport routier de voyageur est déjà un acteur majeur de la transition énergétique puisqu’un autocar circulant équivaut à 30 à 40 voitures en moins sur la route, et les vertus environnementales du carburant diesel EURO VI ne sont plus à prouver.
Mais, avec en 2023 une part du diesel de 85 % pour le segment des autocaristes (19 % pour le segment des bus urbains), la transition énergétique est plus complexe à mettre en place pour les autocaristes.
Et, contrairement aux bus urbains qui sont sur une mono-activité avec des circuits assez courts en ville, les métiers du transport de voyageurs regroupent plusieurs activités qui ont des usages différents, des besoins en autonomie différents et des modèles économiques différents.
« Nous sommes très inquiets ! Nous ne savons pas comment nous allons faire pour la longue distance, car l’offre en cars électriques est inexistante. Nous avons absolument besoin du mix-énergétique et nous défendons la possibilité d’utiliser différentes sources d’énergie. C’est une réflexion assez pragmatique, qui vient des difficultés des entreprises sur le terrain ! », affirme Michel Seyt, co-président de la FNTV Auvergne-Rhône-Alpes.
Un frein financier évident sur l’investissement et sur l’utilisation
Dans les activités du transport routiers de voyageurs, 80 % des activités relèvent des transports scolaires et lignes régulières, qui font l’objet de marchés publics délégués aux entreprises par la région principalement. Si les budgets ne sont pas en augmentation, il sera difficile de financer le surcoût lié à la transition énergétique.
La transition massive des flottes d’autocars n’a véritablement pas été entamée, principalement pour des raisons de coût et d’insuffisance de l’offre industrielle. Actuellement le prix d’un car thermique est de 190 000 € ; celui d’un car rétrofité gaz ou électrique est de 250 000 €, soit 30 % de plus qu’un car thermique roulant au diesel. Le prix d’un car rétrofité hydrogène est de 500 000 €.
(Le rétrofit consiste à retirer le moteur thermique et le réservoir du véhicule pour les remplacer par un nouvel ensemble, moteur électrique + batterie, moteur gaz + réservoir…Etc.)
De plus, actuellement, 1 kg d’hydrogène coûte 12 € ce qui représente 120 € pour 100 km contre 30 à 40 € pour 100 km pour un car roulant au diesel EURO VI. La difficulté des nouvelles énergies, c’est qu’aucune ne remplace le diesel à elle seule, qui permet de faire de la longue ou courte distance. Pour les motorisations alternatives, certaines énergies vont correspondre à un usage. Le GNV et BioGNV par exemple sont adaptés pour les lignes régulières. Sur les marchés scolaires, qui sont sur des lignes assez courtes, l’électrique va pouvoir se développer quand la technologie sera mature. Sur la longue distance, c’est plus compliqué, notamment pour des questions d’autonomie et d’approvisionnement.
Le frein est financier, surtout pour les énergies les plus coûteuses comme l’électrique ou l’hydrogène. Mais sur l’offre industrielle proposée aujourd’hui, la maturité des autocars 100% électriques ne le sera pas avant 2035-2040.
Dans les 10 à 15 prochaines années, la profession souhaite utiliser toutes les énergies disponibles, puisque la décarbonation est urgente pour répondre au réchauffement climatique. Aujourd’hui, le bioGNV est plébiscité par les transporteurs de voyageurs qui auraient même davantage investi s’il n’y avait pas ces incertitudes au niveau national et européen.
Le règlement européen sur les émissions de CO2 des poids lourds disqualifie tout ce qui n’est pas zéro émission à l’échappement. « C’est une notion faussée qui ne tient pas compte de la totalité des émissions du cycle de vie. Aujourd’hui, tout le monde s’engouffre dans le tout électrique alors que le pragmatisme voudrait qu’on utilise déjà des biocarburants, en attendant la maturité des technologies électriques. » conclut Jean-Sébastien Barrault, président de la FNTV.
En matière de recrutement, la situation, très tendue, appelle de la formation
Avec 12 229 emplois dans le transport de voyageurs et 38 entreprises créés en 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes est la 2e région la plus dynamique de France. La croissance de l’activité est portée notamment par le développement du tourisme ainsi que par les transports organisés par les régions qui ont pris la compétence mobilité.
Avec 94% de CDI et temps complet, des emplois pérennes et pas d’augmentation du turn-over, les mouvements de main d’œuvre stables. La profession n’a pas perdu d’emploi en 2022, et cette tendance s’est confirmée en 2023. Mais la situation reste très tendue en matière de recrutements.
Il faut rajeunir les effectifs : Avec 40% des effectifs qui a plus de 50 ans dans le transport de voyageurs, la profession agit pour que ses métiers ne soient plus uniquement des emplois de reconversion en 2nde partie de carrière. Elle a contribué au niveau national à abaisser à 18 ans, contre 21 ans auparavant, l’âge du permis D pour conduire certains services de transport en commun, mais cela ne suffit pas !
En partenariat avec l’AFTRAL, la FNTV Auvergne-Rhône-Alpes a également développé l’offre de formation avec un CAP C4A de Conducteur Agent d’Accueil en Autobus et Autocar qui a permis de former 32 jeunes.